Discours de M. Oscar TEMARU, président de la Polynésie française lors de la séance du 17 septembre 2009

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Monsieur le Président de l'Assemblée de la Polynésie française,
Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Vice-président,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Mesdames et Messieurs,
Iaorana.
Pourquoi sommes-nous ici rassemblés ce matin ?
· Sommes-nous ici pour feindre d'ignorer que le monde est en crise, et que notre Pays du fait de la globalisation n'échappe pas à cette crise ?
· Sommes-nous ici pour perpétuer des pratiques condamnables, défendre des intérêts sectoriels ou particuliers ?
· Sommes-nous ici pour prolonger une instabilité qui nous divise, nous affaiblit et provoque un immobilisme dont notre peuple souffre au quotidien depuis près de 5 ans ? …
· Sommes-nous enfin ici pour continuer de croire qu'il n'est pas nécessaire de changer ? Qu'il n'y a pas un monde d'avant, et un monde d'après la crise ?
… Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. La crise, nous y sommes !
En mai 2004, une vague étonnante a déferlé sur nos côtes : LE TAUI. Certains ont cru pouvoir ériger des digues pour arrêter cette vague … mais on n'arrête pas la force de l'évidence ! Aujourd'hui, tous les partis, tous les leaders se réclament du TAUI. Alors si nous sommes rassemblés, ici, ce matin et dans les jours qui viennent, je veux croire que c'est pour réaliser, ensemble, ce TAUI qui commence en nous-mêmes !
Oui, je veux croire que nous allons enfin cesser de confondre débats d'idées et chantages…Cesser, à tous les niveaux, de croire que le monde s'arrête à la porte de notre ministère, de notre service, de notre établissement, de notre société, de notre syndicat, de notre maison…
Chacun à son niveau, et à la place qui est la sienne, nous devons réaliser que le Présent, et surtout l'Avenir de notre Pays nous concerne tous !
Le Tourisme a besoin du secteur primaire, et inversement. L'industrie et les services ont besoin de l'éducation. Nos enfants pour bien étudier ont besoin de transports efficaces et fiables. Les routes de Tahiti seront moins encombrées si nos archipels se développent et voient enfin revenir leurs enfants, chez eux. Les archipels ont besoin d'être desservis, et dotés d'infrastructures essentielles pour se développer …
Vous le voyez, la réalité de notre économie, de notre société, n'est pas faite de silos étanches, mais de réseaux en interdépendance.

C'est dans cet esprit que je vous invite à aborder nos travaux, à examiner le projet de collectif qui va vous être soumis, et dans quelques semaines à participer à l'élaboration du budget 2010 de notre Pays.
Mais d'ores et déjà, permettez-moi de vous rappeler quelques éléments déjà en place pour atténuer les effets de la crise, et tendre vers la relance.
Les efforts devaient commencer par le haut, et l'exemple partir du centre. Les dépenses de fonctionnement de l'administration ont, cette année encore, été comprimées autant que possible. Globalement, une économie de 15% a été réalisée.
Parallèlement, il était nécessaire de relancer la commande publique, et d'augmenter le taux d'utilisation des crédits votés. C'est ce qui a été fait, et qui est en cours.
Les années antérieures, c'est bon an mal an une moyenne de 49 milliards de commande publique, dont seulement 50% étaient réalisés qui venait soutenir l'activité économique. Cette année, ce sont au total près de 63 milliards qui ont été inscrits au budget avec un objectif réaliste d'utilisation d'au moins 65%. C'est, concrètement, un quasi doublement de l'effort de la commande publique.
Alors que le grand chantier de l'hôpital est en voie d'achèvement, d'autres seront bientôt démarrés : Maison de la Perle, réhabilitation de la zone de l'ancien hôpital de Mama'o, gare maritime, sans parler de la multitude de projets moins voyants, mais tout autant nécessaires à l'activité de nos PME et des grandes entreprises du BTP.
Concrètement encore, de manière à nous assurer que les objectifs soient atteints, j'ai confié au vice-président la direction d'un comité de suivi de la relance, qui se réunit toutes les quinzaines pour faire le point sur les avancées, les blocages, et surtout, trouver des solutions quand les dossiers traînent ou sont à l'arrêt.
Mais, la relance ne peut se résumer à la commande publique. L'économie ne se change pas par décret. Le gouvernement n'est pas là pour se substituer éternellement au secteur privé. Ceux qui vous diraient le contraire n'auraient retenu aucune leçon de la crise.
Le gouvernement est là pour créer l'écosystème favorable à l'éclosion d'une économie véritable, posée sur des bases stables. La commande publique s'inscrit dans ce schéma en installant les infrastructures nécessaires à l'activité économique, sociale et culturelle.
La relance, la vraie, elle viendra de chacun de nous, et de ce que nous sommes prêts à changer pour l'atteindre. Plutôt que d'attendre que le temps change je vous propose de le saisir avec force et d'agir.
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Parmi les voies possibles, il faut je crois, nous engager dans celle qui met le Polynésien, debout les pieds sur sa terre, au centre de son développement.
Quels peuvent être ces deux pieds, sur lesquels faire tenir notre société ? Quel développement imaginer pour un Pays formé d'une multitude d'îles réparties sur un espace vaste comme l'europe ? Quel développement imaginer pour un Pays au cœur du plus grand Océan du monde, et la croisée de l'Amérique et de l'Asie ? Quel développement imaginer pour un micro-marché de 250 000 habitants ?
A mon sens, les deux piliers de notre développement pourraient être le tourisme, et le secteur primaire.
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Nous avons un Pays magnifique, un peuple et une culture extraordinaires. Ce n'est pas du nombrilisme que de dire cela. Il est donc naturel que nous comptions développer le tourisme. Aux esprits chagrins qui ne manqueront pas de stigmatiser la baisse de la fréquentation touristique, je voudrais rappeler que même Hawaii, destination touristique par excellence voit sa fréquentation baisser dans des proportions similaires. Le tourisme illustre parfaitement le fonctionnement en réseau de notre Société.
Augmenter le nombre de touristes, c'est remplir les avions des compagnies de transport Polynésiennes qui ont en bien besoin. A l'inverse, il faut que l'offre de transport soit riche, fiable et adaptée.
Augmenter le nombre de touristes, c'est aussi venir compléter la demande locale pour les produits du secteur primaire. Nos produits locaux, voilà ce que veut voir et goûter le touriste quand il vient chez nous.
Mais trop longtemps, on a confondu développement touristique et développement immobilier largement subventionné par les défiscalisations. On ne peut pas baser notre développement touristique sur l'unique segment du haut de gamme, avec une offre quasi centrée sur une île.
Il nous faut diversifier les destinations et rechercher une forme de tourisme adapté à notre population, à notre culture. La petite et moyenne hôtellerie doit être développée et encouragée, pour accueillir demain une clientèle peut-être moins fortunée mais dont les dépenses ne seront pas absorbées par d'innombrables intermédiaires.
Pour cela, il nous faut développer des formules abordables, et surtout, changer le " Branding ", l'image de marque de la destination Tahiti et ses îles. Aujourd'hui, quand on pense " Tahiti ", on pense " rêve " … oui, mais, immédiatement, on rajoute " inaccessible " !
Dans le monde de stress, de folie et de conflits violents, la pulsation naturelle si particulière de notre pays est un calmant naturel. Pour les touristes : " Tahiti, your life extending destination " …
J'ai demandé aux acteurs du secteur, et en premier lieu au ministre d'avoir un objectif simple : offrir des packages tout compris à moins de 2000 dollars la semaine. C'est possible ! Ca existe déjà, mais en quantité trop limitée. A ce prix là, demain, quand on pensera " Tahiti ", on pensera " Dream come true " !
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A une époque pas si lointaine, lorsqu'on interrogeait nos jeunes, ou leurs parents, en leur posant la question de leur projet de vie, la réponse la plus courante était : " Devenir fonctionnaire " … Par le biais d'une politique claire de soutien au secteur primaire, je forme le vœu que demain, à cette même question on réponde : " Devenir agriculteur, pêcheur, ou éleveur " !
Voici des métiers d'une noblesse infinie, qui formaient la base de la société polynésienne, et qui ont été délaissés suite à l'implantation du CEP.
Le récent salon de l'agriculture a prouvé que le monde du secteur primaire est formé d'hommes et de femmes courageux, qui croient, parce qu'ils le vivent au quotidien qu'il est possible de se rapprocher de l'objectif d'autosuffisance alimentaire pour peu que leur secteur soit enfin pris au sérieux.
Cette année, nous avons adopté une première mesure attendue depuis longtemps : la prise en charge du fret interinsulaire pour les produits du secteur primaire ! C'est maintenant aux agriculteurs des îles de jouer leur rôle, et je suis convaincu qu'ils répondront " présents " !
Aux agriculteurs qui ont besoin de terres pour cultiver nous avons déjà répondu en partie en modifiant la gestion des demandes d'attribution, passant d'une gestion " administrative " à une gestion pragmatique, pour accélérer le processus. J'ai demandé l'instauration d'une véritable transversalité entre le ministère en charge du foncier, et celui en charge de l'agriculture. Celle-ci est déjà bien engagée et va se poursuivre.
Parallèlement, une restructuration du secteur en filières va permettre d'exploiter au mieux les potentialités de chaque archipel. Permettre aussi d'éviter les sur ou sous-production saisonnières.
Mais il faut aussi considérer l'agriculture comme une activité moderne et valorisante, et non pas comme un pis-aller.
L'agriculteur d'aujourd'hui doit s'orienter vers des activités innovantes de transformation qui sont à sa portée. Les exemples sont là, devant nous :
· Ou croyez-vous que ce sachet de café été conditionné ? … A RURUTU ! Près de la zone de production, par le producteur lui-même qui a investi dans un équipement adapté.
· Ou pensez-vous que ces pâtes d'une qualité gustative et nutritionnelle exceptionnelle ont été fabriquées ? … A Arue, et à partir de produits locaux comme le Ufi et le mautini.
· Ou croyez-vous que ce sel et cette huile de table à haute valeur ajoutée ont été produits et packagés ? … Sur un motu de Tikehau !
· Demain, et rejoignant là la problématique de l'Energie, pourquoi ne pas développer des unités de production d'huile de coprah pour alimenter véhicules et groupes électrogènes, directement dans les îles ?

Le ministre, en coopération avec les professionnels du secteur doit également travailler à optimiser les circuits de commercialisation. En effet le secteur primaire s'inscrit dans un tryptique incontournable : PRODUCTION, PROMOTION, COMMERCIALISATION.
Cette politique novatrice et volontaire en matière agricole, n'en doutez pas, sera inscrite dans notre prochain budget.
Mais pour réussir cette mutation, il faut " changer ". Oui, changer radicalement notre perception de ce secteur. Convaincre nos jeunes que ces métiers sont les plus beaux qui soient et qu'en s'engageant dans ce secteur, ils seront des acteurs économiques essentiels de notre Pays.
Le retour à la terre n'est pas qu'un remède à la crise économique, il est aussi un remède à la crise morale. Que l'on cesse d'inculquer à nos enfants que ce Pays n'a aucune ressource. Qu'à l'inverse ils soient élevés et éduqués dans l'amour de cette terre, qu'ils puissent un jour, dans un système social et éducatif adapté, communier avec celle-ci, chaque matin avant de se rendre à l'école.
La terre n'attend que des bras pour produire et rendre l'homme meilleur.

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Comment envisager le secteur primaire en oubliant les 5 millions de km2 d'océan qui nous entourent ?
Perliculture, pêche et aquaculture doivent être développés, adaptés, optimisés.
Le tassement de notre industrie perlière ces dernières années nous ramène à un constat simple : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier.
Dans l'archipel des Tuamotu, hier entièrement dédié à la Perle, il faut développer des modèles mixtes. C'est dans cette optique que des dispositifs de retour au coprah, ou de passage aux nouvelles formes d'exploitation de la cocoteraie comme l'huile cocofine ou le bois de cocotier sont aujourd'hui en place, et seront renforcés.
C'est surtout, à terme, un développement complètement revu de la pêche lagonnaire et de l'aquaculture qui se profilent. Aujourd'hui les techniques d'écloserie des poissons de lagon sont maîtrisées. Les techniques d'élevage dans des bassins flottants gonflables aussi.
La mise en place du Centre Technique Aquacole " VAIA ", à proximité du site de l'IFREMER à Vairao est le premier jalon de ce nouveau développement. Une écloserie de crevettes d'une capacité de production de 15 à 18millions de post-larves par an sera complétée d'une écloserie de poissons d'une capacité de production de 200 000 alevins par an.
On pourra ainsi favoriser des entreprises familiales dans les îles qui auront la possibilité de s'approvisionner en alevins, pour leurs élevages, mais aussi pour participer à un réensemencement des lagons.
La perle n'est pas ignorée. Un plan de restructuration et de re-développement de la filière a été proposé cette année. Il a emporté l'adhésion d'une écrasante majorité des acteurs du secteur. Là aussi, autour d'un projet fédérateur, la " Maison de la Perle ", ce sont les méthodes de production, de promotion et de commercialisation qui seront revues en profondeur.
Quant à la pêche hauturière, c'est autour d'un projet novateur de mise en place d'un ECO-LABEL que toute la filière sera réorganisée.
Contrôler la quantité et la qualité de la production, assurer une pré-commercialisation optimale sur la base des outils existants mais rénovés, réorganiser le marché local mais surtout relancer nos exportations. Voilà quelques éléments qui renforceront nos atouts pour le développement d'une pêche écologique et durable respectant les critères internationaux.
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Mais tant pour l'agriculture que pour les métiers de la mer, il nous faut donc pouvoir nous appuyer sur trois éléments :
· Notre marché intérieur, certes limité, mais aujourd'hui largement sous-exploité
· Le marché de la consommation touristique
· Le marché de l'exportation
Pour ce faire, il nous faut là encore " changer ". Changer les réflexes, pour que consommer local devienne la norme, et non l'exception. Et cela commence dès l'école. Nos cantines doivent devenir les " écoles du goût local ".
Il faut aussi que la problématique d'acheminement des produits en provenance des greniers ou viviers des archipels vers Tahiti soit gérée efficacement. Le transport maritime interinsulaire a un rôle essentiel à ce sujet, et les solutions recherchées doivent, avant tout, viser la satisfaction de l'intérêt général.
A l'ère des monopoles et des arrangements doit succéder l'ère de la mise en concurrence, dans un cadre garantissant son exercice serein, au bénéfice de nos populations.
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Mesdames et messieurs les représentants,
Je pourrais bien sûr vous parler en détail de chacun des secteurs d'activités dont le gouvernement à la charge. Mais ce serait anticiper sur le programme du budget 2010.
Aujourd'hui je voulais essentiellement vous sensibiliser au changement, au TAUI, qu'il nous reste encore à opérer, tous ensemble.
Les défis qui nous attendent sont immenses.
Nous devons accroître notre indépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Le solaire, l'éolien, l'hydroélectricité ont aujourd'hui plus de 50 ans d'utilisation. Ces technologies sont éprouvées, leur rendement, et leur retour sur investissement connus.
D'autres technologies comme l'énergie thermique des mers, ou celle de la houle, sont prometteuses mais représentent des investissements lourds. Elles doivent être envisagées de manière pragmatique.
C'est une des missions importantes confiée à notre ministre en charge de l'énergie.
Notre système de protection sociale n'est pas pérenne sur les bases actuelles. Il faudra " changer ", qu'on le veuille ou pas, au risque de le voir disparaître, purement et simplement.
Notre modèle économique et notre fiscalité, trop dépendants pour l'un de la commande publique, et pour l'autre des impôts indirects qui constituent les ¾ des recettes ont montré leur fragilité face à la crise mondiale qui nous affecte aujourd'hui.
Il nous faut donc " changer ", TAUI, pour rechercher de nouveaux modèles, plus équitables, plus proches des potentiels réels de notre Pays, et plus proches de nos valeurs historiques et culturelles.
Ce changement doit impérativement s'opérer dans un cadre institutionnel rénové. Je forme le vœu, à cet égard, que la vaste réflexion des Etats généraux qui vient de s'achever fournisse des éléments de construction, à la fois du modèle de société, et du cadre institutionnel qu'il nous faut construire ensemble.
A rohi e a faa'ito'ito maita'i

 

Ordre du jour - Session budgétaire - Séance plénière du 17/09/2009

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