Conférence Anticor

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Mesdames, messieurs,

Permettez-moi de souhaiter la bienvenue dans la maison du peuple polynésien à Mme Séverine Tessier et à M. Eric Halphen dans le cadre de cette conférence sur le thème "gestion publique et démocratie".

Ce sont des intervenants d'une rare qualité que nous retrouverons ce soir.

Mme Séverine Tessier, élue municipal de Clichy, assistante parlementaire de M. Christian Paul, est une grande amie de la Polynésie ; elle est aussi l'auteur de l'ouvrage "Polynésie : les copains d'abord" qui, au vu de son succès de librairie, va bientôt faire concurrence à notre ami Jean-Marc Regnault et à son livre "Taui, le pouvoir confisqué".

M. Eric Halphen, magistrat judiciaire, a été juge d'instruction en charge, à partir de 1994 et jusqu'en 2001, du dossier des HLM de Paris, pour lequel, exploit peu commun, il a cité le chef de l'État à comparaître comme témoin.

Tous deux ont créé l'association anticorruption Anticor.

Quel rapport avec la gestion publique et la démocratie, me direz-vous ?

Et d'ailleurs, quel rapport entre gestion publique et démocratie ?

Eh bien, justement, il ne peut y avoir de démocratie sans gestion transparente des deniers publics et il ne peut, bien entendu, y avoir de gestion transparente sans démocratie.

On l'a souvent oublié, la démocratie s'est créée avec le contrôle des sujets sur l'utilisation de leurs impôts par le souverain.

Sans qu'il soit besoin de remonter à Jean sans terre (que connaissent tous les lecteurs d'Ivanhoé et de Robin des Bois) et à la grande charte de 1215 ou aux cahiers de doléance de 1789, il suffit de savoir que le Parlement a d'abord eu comme pouvoir le consentement à l'impôt, puis au budget, et que c'est dans le cadre de l'exercice de ce pouvoir qu'il a contrôlé l'utilisation des finances publiques.

Le contrôle de la gestion publique est donc un élément fondamental de la démocratie.

C'est d'ailleurs ce qu'indique l'article 14 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 puisque "Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée"

Qu'en est-il en Polynésie ?

Force est bien de constater que l'état des lieux n'est guère satisfaisant.

Et la lecture de l'ouvrage de Mme Tesssier est édifiante à cet égard.

Des milliards de francs CFP ont été dépensés en vain.

Certes le niveau de vie peut paraître satisfaisant, et les services de base sont assurés. Mais à quel prix ?

Regardez autour de vous, regardez en dehors de Papeete, et surtout en dehors de Pirae (la ville championne du monde en équipements sportifs).

Que verrez-vous :

* Des quartiers entiers qui vivent dans des conditions dignes de Zola.
* Des milliers de personnes qui ne bénéficient d'aucune couverture chômage : mais, comme il l'a été dit, "en Polynésie, il n'y pas de pauvres, il n'y a que des fainéants".
* Des carences inadmissibles en matière d'équipements sanitaires : allez donc vous faire soigner dans les dispensaires des îles, vous risquez de ne pas être déçus, 3 morts à Tahaa en 2004. Et même, lorsque l'on en rénove un, c'est pour un coût prohibitif : voyez l'hôpital Jacques Chirac.
* Un environnement totalement laissé à l'abandon.
* Des carences inadmissibles en matière de protection des espèces endémiques : merci à ceux (ou celles !) qui ont laissé entrer la mouche pisseuse ou la mouche des fruits.
* Bien entendu, au pays du "Maohi Blanc", il y a les éléphants blancs : port d'Uturoa, port de Faratea, Palais présidentiel dont tout le monde a pu constater, ces derniers temps, combien ce bâtiment pouvait être utile, piste de Fakarava, télévision privée, Tupai, Anuanuararo.

J'arrête là même si je pourrais multiplier les exemples, mais cette énumération serait à la fois démotivante et fastidieuse.

Elle révèle bien que la gestion publique est défaillante ici.

Et pourquoi l'est-elle ?

Parce que la démocratie l'est également.

Aucun contre pouvoir n'existe réellement en Polynésie. Merci à certains syndicats, certaines radios libres et certains journaux périodiques.

Je passe sur le soi-disant contrôle de légalité : si, effectivement, les achats de gommes de la commune de Faaa ont pu susciter les inquiétudes du représentant de l'État, celui-ci n'a rien trouvé à redire aux constructions pharaoniques de M. Flosse ou au recrutement de 800 "gentils" membres du GIP.

Je serai bref sur la justice.

Celle-ci n'est pas la même pour tous : écoutez les réquisitions du parquet fustigeant les fumeurs de paka et écoutez le silence assourdissant s'agissant des agissements de personnalités politiques collectionnant les mises en examen comme d'autres collectionnaient les prix d'excellence dans les lycées. Je crois que M. Halphen sera d'accord avec moi pour dire que le parquet est un des problèmes majeurs de la justice française, et donc de sa démocratie. Ce n'est d'ailleurs pas l'actualité toute récente de l'affaire des HLM de Paris qui le démentira.

Certes, il existe heureusement une autre justice, plus sereine, et qui fait son travail, notamment en ce qui concerne les juridictions administratives ou financières. Mais là encore ! Ou bien ces juridictions sont menacées d'êtres supprimées comme cela a été le cas pour le Tribunal Administratif ! Ou bien, elles sont dépourvues de tout moyens d'action comme peut l'être la Cour des Comptes lorsqu'elle rend public son rapport.

Absence de démocratie encore en ce qui concerne cette Assemblée.

Celle-ci devrait contrôler l'usage des fonds publics par le gouvernement.

Mais qu'en est-il en réalité.

Le budget est faussement présenté en équilibre.

Les comptes des établissements publics sont systématiquement tronqués, ce qui ne permet pas de faire apparaître leurs déficits structurels et surtout le subventionnement constant et grandissant de ces établissements. De même, on fait assurer par ces établissements des missions qui devraient être effectués par les services administratifs.

Le compte administratif est expédié en quelques minutes.

Aucune commission de contrôle ne peut voir le jour.
Malheureusement, et quelque soit la qualité des interventions des représentants, la discussion budgétaire se résume souvent au triptyque bien connu de la métropole "Litanie, Liturgie, Léthargie".

Ce n'est pas un contrôle démocratique.

Il faut que cela change et cela changera grâce à vous !

Je vous remercie.
Vivement le Taui du 13 février !