Allocution de Monsieur Raymond VAN BASTOLAER en présence de M. Christian ESTROSI.

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Allocution de Monsieur Raymond VAN BASTOLAER en présence de M. Christian ESTROSI.
Monsieur le Ministre,

Au nom du groupe Union pour la Démocratie, je tiens à vous souhaiter la bienvenue dans cette enceinte de notre assemblée. Ce lieu où depuis 1969 s'expriment les représentants élus du peuple polynésien.

Bienvenue donc à vous, M. ESTROSI, secrétaire d'État chargé de l'Outre-mer ou, comme vous dites, "des Outre-mers", reconnaissant ainsi la variété et l'identité originale et particulière de cet espace, de toute cette "franconésie" éparpillée à la surface du globe.

Bienvenue à vous, M. ESTROSI, qui ici, représentez l'Etat français, le gouvernement de la nation, et qui venez, porteur de ces valeurs qui ont fait de la France le pays des droits de l'homme.

Je tiens à saluer votre démarche. Vous avez répondu à notre attente en venant soutenir devant les élus du peuple Polynésien le projet de loi organique qui, si vous le maintenez en l'état, va bouleverser la vis de notre
communauté.

Vous nous avez écoutés, vous nous écoutez encore aujourd'hui, mais est-ce que vous nous entendez ? Est-ce que vous nous comprenez ? Permettez-nous, Monsieur le Ministre, d'en douter.

"Tout est décidé depuis le 4 août", avez-vous dit aux médias...

Vous êtes dans l'erreur Monsieur le Ministre, lorsque vous estimez que la situation politique actuelle est "faite de confusion et d'instabilité "comme vous l'avez déclaré au quotidien "Les Nouvelles " le 25 octobre dernier.

Notre pays a certes, connu depuis 2004, une instabilité politique sans précédent. Les raisons de cette instabilité, vous les connaissez parfaitement et tous les Polynésiens les connaissent. Le parti politique auquel vous appartenez porte une grande responsabilité dans les événements qui ont marqué notre vie politique de ces dernières années et je n 'y reviendrais pas.

Certes, mon groupe politique, l'UPLD, a bien demandé la dissolution de l'Assemblée de Polynésie française pour procéder à de nouvelles élections. Nous l'avions demandé tout au long du début de l'année 2007 et, durant toute cette période, nous n'avons pas reçu de réponse de l'Etat, sauf une déclaration du président Sarkozy précisant qu'il n'y aura pas de dissolution, et que le mandat des représentants ira jusqu'au terme prévu, en 2009.

À présent que le président du Pays est Monsieur Oscar TEMARU, pourquoi alors, le mandat des représentants doit-il prendre fin ? Pourquoi de nouvelles élections ? Et cela, impérativement en janvier 2008 ?

Monsieur le Ministre, nous sommes persuadés que vous êtes conscient que les fêtes de Noël et de fin d'année sont des moments très importants pour les Polynésiens. Vous savez également que ces périodes mobilisent toutes les familles ainsi que les confessions religieuses durant de très nombreuses journées et que par conséquent, la préparation d'élections en début d'année viendra perturber ces moments de joie, de paix et de réconciliation au sein de nos familles, au sein de notre peuple ?

Vous n'ignorez pas non plus que la situation de notre pays a changé et que les deux principaux groupes politiques de notre pays ont décidé de transformer leur opposition en concorde sur les grands sujets essentiels pour notre avenir commun.
Non Monsieur le Ministre, nous ne voulons pas d'élections précipitées en janvier 2008 ! Il n'y a réellement aucune urgence.

Quant au projet de loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique, il a été examiné par les élus que nous sommes, puis rejeté en partie par 44 élus sur 57.

Ce texte a été rejeté partiellement pour plusieurs raisons.

La plus importante certainement est que l'instabilité politique qui vous a amené à l'écrire, n'est plus
d'actualité. En effet, après 30 années d'opposition entre les deux plus importants partis politiques du pays, les deux leaders historiques de ces formations ont décidé de s'unir, pour une simple raison : le développement de notre pays.

Un développement qui tardera à voir le jour si l'Etat continue à interférer dans nos affaires intérieures.

Par ailleurs, Monsieur le Ministre, nous avons, comme nos parlementaires de France, l'intime conviction que ce texte n'apportera pas de solutions durables à nos problèmes parce que conçu dans la précipitation.

Aujourd'hui, aucun blocage des institutions n'est constaté et, les décisions de notre Assemblée sont prises collégialement par les deux grands groupes représentant à eux deux 75 % des élus de la population.

Pourquoi, dès lors, nous imposer un statut mal ficelé et un retour précipité aux urnes ?

Pourquoi la politique serait le seul domaine ou les expériences malheureuses d'un passé somme toute très
récent ne devraient pas être prises en compte ? Souvenons-nous ! Les conditions dans lesquelles la loi organique 1 de février 2004 a été adoptée, malgré de nombreuses mises en garde, ne sont pourtant pas si éloignées !

Y a t il une fatalité française à ce que les relations avec ses anciennes colonies ou territoires ne puissent évoluer autteœent-epie dans la paix et le vrai dialogue ?

Le président de la République qui jalonne régulièrement ses interventions par des références et des faits historiques oublierait-il soudain les drames vécus lors des événements de ces cinquante dernières années depuis l'Indochine jusqu'à plus près de nous la Nouvelle Calédonie ?

Oui, Monsieur le Ministre, nous sommes pour une évolution statutaire. L'UPLD la réclame depuis 2004, date de sa constitution et, pour ses composantes, depuis bien plus longtemps.

Mais, Monsieur le Ministre, nous ne voulons pas d'un statut bâclé, copié plus ou moins exactement sur celui de Saint-Barthélémy ou encore Saint-Martin, où l'on remplace le mot "préfet" par "Haut-commissaire". Nous ne voulons pas de ce statut hybride sans queue ni tête, qui est ni département ni collectivité autonome...

Modifier le statut, d'accord. Mais nous l'avons dit et répété : prenons le temps de tout examiner à la lumière de l'expérience et corrigeons ce qui doit l'être.

Nous sommes las que l'on nous impose des "rustines" sur des statuts successifs. Nous désirons un texte fondateur et durable par lequel l'Etat transférerait au pays, les compétences dont nous avons besoin pour nous développer.

Je pense que les accords dits "de Tahiti Nui" seront le moyen de les mettre en place dans le vrai dialogue et la concertation en toute transparence, puisque ce mot est soudain d'actualité.

Monsieur le Ministre, il est temps de discuter de ces accords, pour, qu'enfin, nous arrivions à tracer notre avenir commun, à l'instar des accords de Nouméa.

Le tripatouillage projeté est indigne d'une grande démocratie comme la France.

Quant au vote de la défiance, nouveau gros mot statutaire pour remplacer la censure, il sort directement du statut de Saint-Barthélémy. Défiance... dites-vous ? Mais, Monsieur le Ministre, nous ne voulons pas d'un système de défiance ! Cette défiance et cette méfiance qui font le fondement de l'administration française.

Nous voulons de la confiance, entre vous et nous, entre nous ici, entre notre administration et nos administrés. Et si cela ne va pas, hé bien, la sanction c'est la censure, et non pas une "défiance" qui ne mène à rien de positif.

Concernant le retour du contrôle a priori qui serait instauré, pensez-vous que nous puissions accepter "le lever du doigt" comme si nous étions retournés à l'enfance ? Pensez-vous que nous ne sommes pas dignes d'être des citoyens responsables, libres, égaux en droit avec les collectivités de France. Nous demandons qu'on nous laisse décider et agir, la sanction venant éventuellement après, si nécessaire. Mais encore faudrait-il que vos représentants ici assument leurs fonctions, toutes leurs fonctions et rien que leurs fonctions. Ce qui manifestement n'a pas été le cas depuis de trop longues années. Et cette défaillance de l'État vous voudriez nous la faire payer à nous, élus polynésiens, par un retour à un contrôle a priori ?

Si cela nous est refusé (et, déjà d'être obligé de demander notre droit est une humiliation inutile), alors, c'est que la France nous considère comme des sujets et non comme des citoyens.

Serions-nous alors de nouveau colonisés comme aux plus sombres heures de l'Histoire ? Notre pays serait-il devenu malgré nous et grâce à nos collègues de "Polynésiens ensemble" un département ? Quand devrons-nous amener notre drapeau ? Quand devrons-nous cesser de parler notre langue ?

En bricolant notre statut, Monsieur le Ministre, vous commettez une faute historique. Certes, vous dites que tout est amendable, mais est-ce que les amendements seront retenus par votre majorité UMP ? Comme je le disais tantôt, l'expérience très récente de la procédure de vote de la loi organique de février 2004 ne m'incite pas à beaucoup d'optimisme...

Vous nous avez écoutés, vous nous écoutez, mais est-ce que vous nous entendez ? Est-ce que vous nous comprenez ? Permettez-nous, Monsieur le Ministre, d'en douter. "Tout est décidé depuis le 4 août", avez-vous dit aux médias...

Le président de la République, notre président, votre président a déclaré à l'ONU, le 25 septembre dernier : "l'attachement à sa foi, à son identité, à sa langue, à sa culture, à une façon de vivre, de penser, de croire, c'est légitime. Le nier, c'est nourrir l'humiliation".

Monsieur le Ministre, votre tâche et la nôtre, c'est de faire en sorte que le légitime devienne légal. Est-ce impossible ?

Devrons-nous subir l'humiliation d'être contraints de nous plier à la force injuste d'une loi contraire à notre foi, à notre identité, à notre langue, à notre culture, à notre façon de vivre ?

Les temps de la colonie sont révolus. Que cela plaise ou non, ici et à Paris, la Polynésie, mieux Tahiti Nui est un
pays, pas un département. Et le fait qu'il ne soit pas indépendant ne change rien à l'affaire.

Monsieur le Ministre, merci de nous avoir écoutés et puissiez-vous aujourd'hui nous entendre et nous
comprendre.

Nous vous souhaitons un bon séjour parmi nous.



Raymond VAN BASTOLAER