Allocution de M. Edouard FRITCH, président de l'assemblée de Polynésie française, en présence de M. Christian ESTROSI
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Monsieur le Ministre, au nom des cinquante-sept représentants constituant cette assemblée, au nom des populations des îles du Vent, des îles Sous-le-Vent, des îles Tuamotu, des îles Gambier, des îles Marquises et des îles Australes que nous représentons, nous vous adressons nos salutations les plus chaleureuses et vous souhaitons la bienvenue au sein de cet hémicycle.
Nous sommes très honorés de votre présence parmi nous et sommes très sensibles à l'intérêt que vous avez manifesté envers les Polynésiennes, les Polynésiens et leurs élus, en ayant accepté de nous rencontrer.
Les deux derniers ministres de la République qui ont bien voulu, ici, partager un moment avec notre représentation furent Monsieur Dominique PERBEN, en 1994, et Monsieur Jean-Jack QUEYRANNE, en 1997. Ces deux rencontres ont été organisées sous la forme de discours solennels sans aucun débat.
Avec vous, Monsieur ESTROSI, pour la première fois un débat public direct entre le ministre de la République et les autorités législative et exécutive de notre collectivité est rendue possible.
Votre présence est donc une première dans l'histoire démocratique de notre institution.
En outre, en peu de temps, vous vous êtes déjà déplacé trois fois en Polynésie française, la première fois pour la campagne présidentielle, les deux autres fois en tant que ministre de la République, dont une pour les circonstances particulièrement tragiques que nous avons connues avec le crash d'un appareil de la compagnie Air Moorea.
C'est le témoignage fort de la sympathie et de l'attention que vous accordez à notre pays et des liens indéfectibles et solides que vous souhaitez nouer avec les Polynésiens et leurs élus, sous l'égide du président de la République, Nicolas SARKOZY.
* Consultée, selon la procédure d'urgence, sur les projets de loi organique et de loi simple tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique, l'assemblée de la Polynésie française a émis, lors de sa séance du 4 octobre dernier, à une très forte majorité de 44 voix sur 57, un avis défavorable.
A mon sens, la motivation de cet avis défavorable repose en premier lieu sur une grande incompréhension des élus que nous sommes vis-à-vis de la méthode qui a été choisie pour l'élaboration de ce texte.
Nous ne pouvons que déplorer le manque de concertation qui a prévalu à l'élaboration du projet que vous nous avez transmis.
Si, conformément à l'article 74 de la Constitution, vous avez bien consulté, pour avis, notre assemblée sur le projet de loi, à aucun moment, les élus Polynésiens n'ont été directement associés à la préparation de ce texte.
Or, depuis le début des années 1990, lorsqu'il a été envisagé de modifier le Statut de notre Pays, les autorités de l'Etat ont toujours pris soin de nous convier à ce travail préparatoire. Pour chaque modification envisagée, nous avons participé concrètement et réellement à la détermination des règles relatives à nos institutions.
Certes, vous avez reçu les représentants des différents mouvements politiques, au mois d'août à Paris. Mais il s'agissait là plus de réunions d'information que de concertation, qui de plus ont essentiellement porté sur la modification du mode de scrutin.
Pourtant, la réforme de la Constitution a introduit dans son article 74 la pleine reconnaissance du statut particulier des collectivités d'outre-mer et la prise en compte des intérêts de chacune d'entre-elles au sein de la République.
L'absence de dialogue préalable me semble contraire à l'intention des constituants, tout autant qu'elle va à l'encontre de celui du législateur qui, dans la loi organique de 2004, a tenu à insérer à l'article Premier que " La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement, par ses représentants élus et par la voie du référendum local ".
Comprenez dès lors que nous soyons tout particulièrement attachés à l'Autonomie au sein de la République, ce fruit d'un long combat de nos Anciens, ce régime institutionnel si original jusqu'à ce jour.
Comprenez aussi que nous puissions mal réagir aux coups portés à l'encontre de ce système auquel nous sommes attachés, qui symbolise et continue à faire vivre nos particularismes et nos singularités, que celles-ci soient géographiques, sociologiques, économiques, historiques, politiques, voire même ethniques.
Comprenez enfin que nous puissions considérer cette organisation de notre vie politique comme étant la mieux adaptée pour nous permettre d'évoluer favorablement dans le contexte géographique qui est le nôtre, au cœur même du grand océan Pacifique, à dominante anglophone et à dix-huit mille kilomètres de la Métropole.
Cet attachement si fort à l'Autonomie trouve sa source dans le berceau même de nos premiers liens tissés avec la France. C'est raison pour laquelle il est aujourd'hui si fortement imprégné dans l'esprit polynésien.
Pour preuve de cette affirmation, je souhaite faire ici citation d'une lettre - dont je vous remettrai copie - que la Princesse Teriinui O Tahiti POMARE a adressée, le 20 août 1953, il y a donc cinquante-quatre ans, au président de la République française, en la personne alors de Monsieur Vincent AURIOL.
Elle réagissait après avoir appris que, et je la cite, "certains de nos représentants politiques veulent aujourd'hui transformer le statut juridique de notre Territoire en l'assimilant à un département de la Métropole". Elle poursuivait ensuite son propos en disant :
"il m'est inutile de m'étendre sur les inconvénients qui résulteraient d'un tel état de choses si celui-ci venait à se réaliser ; je crois savoir que les pouvoirs publics, à Tahiti comme à Paris, sont unanimes à reconnaître que la position géographique des Etablissements français de l'Océanie comprenant un ensemble d'îles disséminées, situées à l'extrémité orientale de la Polynésie et à plus de vingt mille kilomètres de la Métropole d'une part, et le degré d'évolution de leurs populations d'autre part, ne permettent pas d'intégrer notre Territoire dans un système juridique qui serait une entrave à la bonne marche de l'administration et qui irait à l'encontre des intérêts du Pays.
Aussi, en ma qualité de descendante légale du Roi POMARE V qui, le 9 juin 1880, a solennellement fait don de Tahiti et ses Dépendances à la France et de ce fait en a fait une colonie autonome, au nom de la population des E.F.O, à laquelle j'appartiens par toutes les fibres de mon être, je me permets de vous demander de bien vouloir user de toute votre haute influence de Président de l'Union française, afin d'écarter tout projet qui tendrait à modifier notre statut quo.
Les Tahitiens, depuis l'institution du Protectorat en 1843, c'est-à-dire depuis plus d'un siècle, ont toujours fait preuve de confiance, de fidélité et d'attachement à la Mère-Patrie pour donner à mon intervention une signification autre que celle qu'elle doit revêtir ; en la circonstance, j'ai la ferme conviction de servir mon pays natal et sa grande et bienveillante protectrice : la France."
Ces propos me semblent d'une profonde modernité et explique beaucoup de nos ressentis et de nos positions sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Pour autant, nous n'avons pas la prétention de vouloir rédiger seuls les modifications relatives à notre statut, car nous sommes attachés aux valeurs de la République.
Mais parce que nous sommes attachés aux valeurs de la République, nous sommes tout aussi sourcilleux dès qu'il s'agit de préserver l'autonomie qui nous est conférée par la Constitution.
De là est née notre incompréhension.
D'une part, le projet de loi qui nous a été soumis pour avis contient un grand nombre d'articles qui entendent apporter des modifications majeures à notre Statut de 2004, sans que cela ait fait l'objet d'un débat préalable.
D'autre part, parce que le régime électoral que vous proposez ne peut amener à la stabilité politique que vous affichez comme un fondement majeur de votre réforme.
Enfin, avant d'aborder l'avis proprement dit de notre Assemblée, je voudrais souligner le caractère pour le moins inapproprié des dates qui ont été retenues pour l'organisation des prochaines élections. Ces dates ne tiennent pas compte des particularismes locaux, et notamment de la grande ferveur religieuse des Polynésiens, particulièrement des chrétiens qui représentent 90% de la population.
La période de Noël mobilise les fidèles catholiques, dès le début du mois de décembre, pour la préparation des festivités de la Nativité.
Par ailleurs, le mois de janvier est consacré, chez les Protestants qui représentent une part très importante des fidèles, à des journées, voire à des nuits, de prières.
Comment, dans ces conditions, pourrait-on décemment organiser une campagne électorale dans cette période de fête et de recueillement ? C'est contraire à nos traditions chrétiennes, et je sais qu'à titre personnel, vous y serez sensible.
De plus, vous n'êtes pas sans savoir qu'une des spécificités de la Polynésie française réside dans ses vacances scolaires de Noël qui s'étalent sur un mois durant, et qu'un grand nombre de nos concitoyens profitent de cette occasion pour voyager.
Enfin, vous devez savoir qu'un très grand nombre de jeunes se sont inscrits sur les listes électorales au cours de l'année 2007. L'organisation d'élections avant la date de la décision de la commission de révision des listes électorales, fin février, les priverait de l'exercice de leur droit de vote, alors que ce type d'élection va engager leur avenir sur les cinq prochaines années.
Voici, Monsieur le Ministre, les remarques que nous avons à formuler quand à la méthode et à l'opportunité de cette réforme.
Venons en, maintenant si vous le voulez bien Monsieur le ministre, aux raisons de fond qui ont motivé l'avis négatif formulé par la majorité de notre Assemblée au terme d'une journée de débats.
Pour autant, cette forte opposition n'est pas sans nuances et certains articles qui visent réellement à améliorer l'efficacité et la transparence dans le fonctionnement de nos institutions ont reçu une large approbation.
Notre ferme opposition à votre projet de loi, Monsieur le ministre, se fonde sur les constats suivants.
Le premier constat est que le projet de loi, selon son intitulé, est censé remédier à l'instabilité chronique que connaît depuis 2004 la Polynésie française.
Or, sur ce point, Monsieur le ministre, nous estimons que le texte, tel qu'il a été préparé, va incontestablement produire l'effet inverse. L'instabilité institutionnelle sera même renforcée. Pire, on a l'impression qu'elle est prévue, qu'elle sera encadrée, je dirai même " aménagée ".
Avec des seuils à 3% pour participer à la répartition des sièges, et 10% des votants pour pouvoir se maintenir au second tour, il est clair qu'aucune majorité solide et cohérente ne pourra sortir des urnes.
Les petites formations auront la possibilité de disposer d'un ou de deux sièges, et dès lors, nécessairement, le gouvernement sera composé d'une coalition de partis politiques. Cette donnée va à l'encontre de votre volonté exprimée de mettre fin aux tractations " dans le dos des électeurs ".
Si vous souhaitez, Monsieur le ministre, apporter réellement la stabilité et la continuité dans la vie politique de ce pays, tout en contribuant à l'expression démocratique la plus large dans le cadre d'un premier tour, il vous faudra nécessairement repenser ces seuils.
Votre projet de loi reconnaît implicitement qu'il sera vecteur d'instabilité puisqu'il se propose d'aménager celle-ci. Ainsi plusieurs articles mettent en place des dispositifs permettant à un gouvernement minoritaire de se maintenir.
En effet, la motion de défiance constructive permettra à un gouvernement ne disposant pas de majorité au sein de l'assemblée de pouvoir se maintenir.
Il en va de même du vote du budget selon la technique du vote bloqué. Si aucune majorité ne se dégage sur un projet de budget, le gouvernement en place pourra tout de même mettre en œuvre son projet alors que celui-ci n'aura pas été voté.
De même encore, le fait que le président de la Polynésie soit élu à trois tours et qu'à chacun des tours de nouveaux candidats puissent se présenter est la preuve même que l'Etat s'attend à ce qu'il n'y ait plus de majorité au sein de l'assemblée.
Enfin, la possibilité de " renverser " le président de l'assemblée, est encore un signe qui révèle que l'Etat s'attend à ce qu'il n'y ait plus de majorité cohérente pour gouverner notre Pays.
Le second constat de notre assemblée est que votre projet de loi porte atteinte à notre autonomie en opérant dans de nombreux domaines d'inacceptables retours en arrière.
Admettez, Monsieur le ministre, que votre projet vise à nous " départementaliser " ou à nous " régionaliser ". Je sais que le terme peut paraître outrancier à certains, mais il semble le plus adapté pour faire surgir dans l'esprit de chacun les caractéristiques de votre projet législatif.
Ainsi en est-il de l'extension à la Polynésie française de nombreux articles applicables aux collectivités régionales métropolitaines, tout particulièrement dans le domaine de la procédure budgétaire.
Ainsi en est-il lorsque l'Etat s'immisce dans le fonctionnement des institutions en lieu et place des autorités de la Polynésie française.
Pourquoi le haut-commissaire devrait-il remplacer le conseil des ministres pour constater la situation d'empêchement du président du Pays ?
Aucun exemple passé, aucune raison nouvelle ne justifie une telle reprise de compétences.
Ainsi en est-il de la remise en cause du partage des compétences entre le Président du Pays, le conseil des ministres et l'assemblée, en matière de subventions.
Sous couvert de moralisation de la vie politique, nous avons découvert un mécanisme qui s'apparente à " une usine à gaz ".
Non seulement ce serait au conseil des ministres, désormais, et non plus au président (ou aux ministres délégataires), de prendre toutes les mesures en la matière, mais l'assemblée devrait également émettre un avis sur chaque projet d'arrêté, et cette même assemblée pourrait même s'opposer à ceux-ci.
Monsieur le ministre, en Polynésie française comme en métropole, l'assemblée est faite pour délibérer et non pour gouverner. Si vous souhaitez modifier le dispositif dans le sens d'une plus grande transparence, il suffit de préciser - ce que l'assemblée vous propose du reste - que le président du Pays devra agir dans les limites et conditions fixées par délibération de l'assemblée.
Au total, Monsieur le Ministre, le texte que vous nous avez transmis ne peut être approuvé car il restreint nos compétences et bride le fonctionnement de nos institutions. C'est un recul, contraire à l'esprit même de l'autonomie. C'est une rupture dans l'évolution de notre société. C'est un danger car un tel texte ne peut que radicaliser les tenants de l'indépendance.
En revanche, en ce qui concerne la transparence de la vie politique, l'assemblée a clairement exprimé qu'elle était globalement favorable à cet objectif, et nombre de vos dispositions ont été approuvées par les représentants de cette assemblée.
Nous ne contestons donc pas la nécessité d'introduire plus de rigueur et de transparence, notamment à la suite des observations formulées par la chambre territoriale des comptes.
En revanche, nous nous opposons aux conclusions qu'en a tirées l'Etat. Ce n'est pas en réduisant nos responsabilités qu'on nous permettra de progresser.
Ce projet de loi organique, accompagné d'un projet de loi simple, nous est apparu comme un acte de défiance de l'Etat à l'égard de la Polynésie française.
Il est clair que les rédacteurs de ce projet ont été guidés par un préjugé très défavorable à notre égard. S'appuyant sur la période d'instabilité que nous connaissons depuis 2004, ils ont estimé que les Polynésiens n'étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes, ils ont décidé de les remettre sous une tutelle plus étroite, au lieu de leur donner les moyens de retrouver la stabilité.
Je veux conclure, Monsieur le ministre, en affirmant que si notre assemblée a émis un vote globalement défavorable, elle n'a pas manqué de le motiver. Mais surtout, les élus ont proposé, à chaque fois, des amendements qui vont dans le sens de l'amélioration de votre projet, notamment pour ce qui concerne le bon fonctionnement de nos institutions et la préservation de notre Autonomie.
Vous avez spontanément accepté de venir nous rencontrer pour entendre ces remarques. C'est à mon sens le signe que vous restez ouvert au dialogue et à la concertation. Je vous en suis personnellement reconnaissant.
Je vous redis aussi, Monsieur le ministre, combien nous apprécions votre présence parmi nous. Cet esprit d'ouverture est un bon gage pour l'avenir. Nos rencontres régulières ne peuvent que rapprocher nos points de vue et nous permettre mutuellement de mieux nous comprendre.
Je souhaite ensuite, Monsieur le ministre, qu'après cette séance, vous repartiez à Paris rassuré sur la réalité de nos intentions, et sur l'état d'esprit constructif qui nous anime.
Je souhaite enfin, Monsieur le ministre, que vous nous entendiez et que, lors de la discussion parlementaire, vous acceptiez de modifier votre texte dans le sens des amendements qui vous sont proposés par la représentation de la Polynésie française.
Je vous remercie de votre attention.
Edouard FRITCH
Nous sommes très honorés de votre présence parmi nous et sommes très sensibles à l'intérêt que vous avez manifesté envers les Polynésiennes, les Polynésiens et leurs élus, en ayant accepté de nous rencontrer.
Les deux derniers ministres de la République qui ont bien voulu, ici, partager un moment avec notre représentation furent Monsieur Dominique PERBEN, en 1994, et Monsieur Jean-Jack QUEYRANNE, en 1997. Ces deux rencontres ont été organisées sous la forme de discours solennels sans aucun débat.
Avec vous, Monsieur ESTROSI, pour la première fois un débat public direct entre le ministre de la République et les autorités législative et exécutive de notre collectivité est rendue possible.
Votre présence est donc une première dans l'histoire démocratique de notre institution.
En outre, en peu de temps, vous vous êtes déjà déplacé trois fois en Polynésie française, la première fois pour la campagne présidentielle, les deux autres fois en tant que ministre de la République, dont une pour les circonstances particulièrement tragiques que nous avons connues avec le crash d'un appareil de la compagnie Air Moorea.
C'est le témoignage fort de la sympathie et de l'attention que vous accordez à notre pays et des liens indéfectibles et solides que vous souhaitez nouer avec les Polynésiens et leurs élus, sous l'égide du président de la République, Nicolas SARKOZY.
* Consultée, selon la procédure d'urgence, sur les projets de loi organique et de loi simple tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique, l'assemblée de la Polynésie française a émis, lors de sa séance du 4 octobre dernier, à une très forte majorité de 44 voix sur 57, un avis défavorable.
A mon sens, la motivation de cet avis défavorable repose en premier lieu sur une grande incompréhension des élus que nous sommes vis-à-vis de la méthode qui a été choisie pour l'élaboration de ce texte.
Nous ne pouvons que déplorer le manque de concertation qui a prévalu à l'élaboration du projet que vous nous avez transmis.
Si, conformément à l'article 74 de la Constitution, vous avez bien consulté, pour avis, notre assemblée sur le projet de loi, à aucun moment, les élus Polynésiens n'ont été directement associés à la préparation de ce texte.
Or, depuis le début des années 1990, lorsqu'il a été envisagé de modifier le Statut de notre Pays, les autorités de l'Etat ont toujours pris soin de nous convier à ce travail préparatoire. Pour chaque modification envisagée, nous avons participé concrètement et réellement à la détermination des règles relatives à nos institutions.
Certes, vous avez reçu les représentants des différents mouvements politiques, au mois d'août à Paris. Mais il s'agissait là plus de réunions d'information que de concertation, qui de plus ont essentiellement porté sur la modification du mode de scrutin.
Pourtant, la réforme de la Constitution a introduit dans son article 74 la pleine reconnaissance du statut particulier des collectivités d'outre-mer et la prise en compte des intérêts de chacune d'entre-elles au sein de la République.
L'absence de dialogue préalable me semble contraire à l'intention des constituants, tout autant qu'elle va à l'encontre de celui du législateur qui, dans la loi organique de 2004, a tenu à insérer à l'article Premier que " La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement, par ses représentants élus et par la voie du référendum local ".
Comprenez dès lors que nous soyons tout particulièrement attachés à l'Autonomie au sein de la République, ce fruit d'un long combat de nos Anciens, ce régime institutionnel si original jusqu'à ce jour.
Comprenez aussi que nous puissions mal réagir aux coups portés à l'encontre de ce système auquel nous sommes attachés, qui symbolise et continue à faire vivre nos particularismes et nos singularités, que celles-ci soient géographiques, sociologiques, économiques, historiques, politiques, voire même ethniques.
Comprenez enfin que nous puissions considérer cette organisation de notre vie politique comme étant la mieux adaptée pour nous permettre d'évoluer favorablement dans le contexte géographique qui est le nôtre, au cœur même du grand océan Pacifique, à dominante anglophone et à dix-huit mille kilomètres de la Métropole.
Cet attachement si fort à l'Autonomie trouve sa source dans le berceau même de nos premiers liens tissés avec la France. C'est raison pour laquelle il est aujourd'hui si fortement imprégné dans l'esprit polynésien.
Pour preuve de cette affirmation, je souhaite faire ici citation d'une lettre - dont je vous remettrai copie - que la Princesse Teriinui O Tahiti POMARE a adressée, le 20 août 1953, il y a donc cinquante-quatre ans, au président de la République française, en la personne alors de Monsieur Vincent AURIOL.
Elle réagissait après avoir appris que, et je la cite, "certains de nos représentants politiques veulent aujourd'hui transformer le statut juridique de notre Territoire en l'assimilant à un département de la Métropole". Elle poursuivait ensuite son propos en disant :
"il m'est inutile de m'étendre sur les inconvénients qui résulteraient d'un tel état de choses si celui-ci venait à se réaliser ; je crois savoir que les pouvoirs publics, à Tahiti comme à Paris, sont unanimes à reconnaître que la position géographique des Etablissements français de l'Océanie comprenant un ensemble d'îles disséminées, situées à l'extrémité orientale de la Polynésie et à plus de vingt mille kilomètres de la Métropole d'une part, et le degré d'évolution de leurs populations d'autre part, ne permettent pas d'intégrer notre Territoire dans un système juridique qui serait une entrave à la bonne marche de l'administration et qui irait à l'encontre des intérêts du Pays.
Aussi, en ma qualité de descendante légale du Roi POMARE V qui, le 9 juin 1880, a solennellement fait don de Tahiti et ses Dépendances à la France et de ce fait en a fait une colonie autonome, au nom de la population des E.F.O, à laquelle j'appartiens par toutes les fibres de mon être, je me permets de vous demander de bien vouloir user de toute votre haute influence de Président de l'Union française, afin d'écarter tout projet qui tendrait à modifier notre statut quo.
Les Tahitiens, depuis l'institution du Protectorat en 1843, c'est-à-dire depuis plus d'un siècle, ont toujours fait preuve de confiance, de fidélité et d'attachement à la Mère-Patrie pour donner à mon intervention une signification autre que celle qu'elle doit revêtir ; en la circonstance, j'ai la ferme conviction de servir mon pays natal et sa grande et bienveillante protectrice : la France."
Ces propos me semblent d'une profonde modernité et explique beaucoup de nos ressentis et de nos positions sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Pour autant, nous n'avons pas la prétention de vouloir rédiger seuls les modifications relatives à notre statut, car nous sommes attachés aux valeurs de la République.
Mais parce que nous sommes attachés aux valeurs de la République, nous sommes tout aussi sourcilleux dès qu'il s'agit de préserver l'autonomie qui nous est conférée par la Constitution.
De là est née notre incompréhension.
D'une part, le projet de loi qui nous a été soumis pour avis contient un grand nombre d'articles qui entendent apporter des modifications majeures à notre Statut de 2004, sans que cela ait fait l'objet d'un débat préalable.
D'autre part, parce que le régime électoral que vous proposez ne peut amener à la stabilité politique que vous affichez comme un fondement majeur de votre réforme.
Enfin, avant d'aborder l'avis proprement dit de notre Assemblée, je voudrais souligner le caractère pour le moins inapproprié des dates qui ont été retenues pour l'organisation des prochaines élections. Ces dates ne tiennent pas compte des particularismes locaux, et notamment de la grande ferveur religieuse des Polynésiens, particulièrement des chrétiens qui représentent 90% de la population.
La période de Noël mobilise les fidèles catholiques, dès le début du mois de décembre, pour la préparation des festivités de la Nativité.
Par ailleurs, le mois de janvier est consacré, chez les Protestants qui représentent une part très importante des fidèles, à des journées, voire à des nuits, de prières.
Comment, dans ces conditions, pourrait-on décemment organiser une campagne électorale dans cette période de fête et de recueillement ? C'est contraire à nos traditions chrétiennes, et je sais qu'à titre personnel, vous y serez sensible.
De plus, vous n'êtes pas sans savoir qu'une des spécificités de la Polynésie française réside dans ses vacances scolaires de Noël qui s'étalent sur un mois durant, et qu'un grand nombre de nos concitoyens profitent de cette occasion pour voyager.
Enfin, vous devez savoir qu'un très grand nombre de jeunes se sont inscrits sur les listes électorales au cours de l'année 2007. L'organisation d'élections avant la date de la décision de la commission de révision des listes électorales, fin février, les priverait de l'exercice de leur droit de vote, alors que ce type d'élection va engager leur avenir sur les cinq prochaines années.
Voici, Monsieur le Ministre, les remarques que nous avons à formuler quand à la méthode et à l'opportunité de cette réforme.
Venons en, maintenant si vous le voulez bien Monsieur le ministre, aux raisons de fond qui ont motivé l'avis négatif formulé par la majorité de notre Assemblée au terme d'une journée de débats.
Pour autant, cette forte opposition n'est pas sans nuances et certains articles qui visent réellement à améliorer l'efficacité et la transparence dans le fonctionnement de nos institutions ont reçu une large approbation.
Notre ferme opposition à votre projet de loi, Monsieur le ministre, se fonde sur les constats suivants.
Le premier constat est que le projet de loi, selon son intitulé, est censé remédier à l'instabilité chronique que connaît depuis 2004 la Polynésie française.
Or, sur ce point, Monsieur le ministre, nous estimons que le texte, tel qu'il a été préparé, va incontestablement produire l'effet inverse. L'instabilité institutionnelle sera même renforcée. Pire, on a l'impression qu'elle est prévue, qu'elle sera encadrée, je dirai même " aménagée ".
Avec des seuils à 3% pour participer à la répartition des sièges, et 10% des votants pour pouvoir se maintenir au second tour, il est clair qu'aucune majorité solide et cohérente ne pourra sortir des urnes.
Les petites formations auront la possibilité de disposer d'un ou de deux sièges, et dès lors, nécessairement, le gouvernement sera composé d'une coalition de partis politiques. Cette donnée va à l'encontre de votre volonté exprimée de mettre fin aux tractations " dans le dos des électeurs ".
Si vous souhaitez, Monsieur le ministre, apporter réellement la stabilité et la continuité dans la vie politique de ce pays, tout en contribuant à l'expression démocratique la plus large dans le cadre d'un premier tour, il vous faudra nécessairement repenser ces seuils.
Votre projet de loi reconnaît implicitement qu'il sera vecteur d'instabilité puisqu'il se propose d'aménager celle-ci. Ainsi plusieurs articles mettent en place des dispositifs permettant à un gouvernement minoritaire de se maintenir.
En effet, la motion de défiance constructive permettra à un gouvernement ne disposant pas de majorité au sein de l'assemblée de pouvoir se maintenir.
Il en va de même du vote du budget selon la technique du vote bloqué. Si aucune majorité ne se dégage sur un projet de budget, le gouvernement en place pourra tout de même mettre en œuvre son projet alors que celui-ci n'aura pas été voté.
De même encore, le fait que le président de la Polynésie soit élu à trois tours et qu'à chacun des tours de nouveaux candidats puissent se présenter est la preuve même que l'Etat s'attend à ce qu'il n'y ait plus de majorité au sein de l'assemblée.
Enfin, la possibilité de " renverser " le président de l'assemblée, est encore un signe qui révèle que l'Etat s'attend à ce qu'il n'y ait plus de majorité cohérente pour gouverner notre Pays.
Le second constat de notre assemblée est que votre projet de loi porte atteinte à notre autonomie en opérant dans de nombreux domaines d'inacceptables retours en arrière.
Admettez, Monsieur le ministre, que votre projet vise à nous " départementaliser " ou à nous " régionaliser ". Je sais que le terme peut paraître outrancier à certains, mais il semble le plus adapté pour faire surgir dans l'esprit de chacun les caractéristiques de votre projet législatif.
Ainsi en est-il de l'extension à la Polynésie française de nombreux articles applicables aux collectivités régionales métropolitaines, tout particulièrement dans le domaine de la procédure budgétaire.
Ainsi en est-il lorsque l'Etat s'immisce dans le fonctionnement des institutions en lieu et place des autorités de la Polynésie française.
Pourquoi le haut-commissaire devrait-il remplacer le conseil des ministres pour constater la situation d'empêchement du président du Pays ?
Aucun exemple passé, aucune raison nouvelle ne justifie une telle reprise de compétences.
Ainsi en est-il de la remise en cause du partage des compétences entre le Président du Pays, le conseil des ministres et l'assemblée, en matière de subventions.
Sous couvert de moralisation de la vie politique, nous avons découvert un mécanisme qui s'apparente à " une usine à gaz ".
Non seulement ce serait au conseil des ministres, désormais, et non plus au président (ou aux ministres délégataires), de prendre toutes les mesures en la matière, mais l'assemblée devrait également émettre un avis sur chaque projet d'arrêté, et cette même assemblée pourrait même s'opposer à ceux-ci.
Monsieur le ministre, en Polynésie française comme en métropole, l'assemblée est faite pour délibérer et non pour gouverner. Si vous souhaitez modifier le dispositif dans le sens d'une plus grande transparence, il suffit de préciser - ce que l'assemblée vous propose du reste - que le président du Pays devra agir dans les limites et conditions fixées par délibération de l'assemblée.
Au total, Monsieur le Ministre, le texte que vous nous avez transmis ne peut être approuvé car il restreint nos compétences et bride le fonctionnement de nos institutions. C'est un recul, contraire à l'esprit même de l'autonomie. C'est une rupture dans l'évolution de notre société. C'est un danger car un tel texte ne peut que radicaliser les tenants de l'indépendance.
En revanche, en ce qui concerne la transparence de la vie politique, l'assemblée a clairement exprimé qu'elle était globalement favorable à cet objectif, et nombre de vos dispositions ont été approuvées par les représentants de cette assemblée.
Nous ne contestons donc pas la nécessité d'introduire plus de rigueur et de transparence, notamment à la suite des observations formulées par la chambre territoriale des comptes.
En revanche, nous nous opposons aux conclusions qu'en a tirées l'Etat. Ce n'est pas en réduisant nos responsabilités qu'on nous permettra de progresser.
Ce projet de loi organique, accompagné d'un projet de loi simple, nous est apparu comme un acte de défiance de l'Etat à l'égard de la Polynésie française.
Il est clair que les rédacteurs de ce projet ont été guidés par un préjugé très défavorable à notre égard. S'appuyant sur la période d'instabilité que nous connaissons depuis 2004, ils ont estimé que les Polynésiens n'étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes, ils ont décidé de les remettre sous une tutelle plus étroite, au lieu de leur donner les moyens de retrouver la stabilité.
Je veux conclure, Monsieur le ministre, en affirmant que si notre assemblée a émis un vote globalement défavorable, elle n'a pas manqué de le motiver. Mais surtout, les élus ont proposé, à chaque fois, des amendements qui vont dans le sens de l'amélioration de votre projet, notamment pour ce qui concerne le bon fonctionnement de nos institutions et la préservation de notre Autonomie.
Vous avez spontanément accepté de venir nous rencontrer pour entendre ces remarques. C'est à mon sens le signe que vous restez ouvert au dialogue et à la concertation. Je vous en suis personnellement reconnaissant.
Je vous redis aussi, Monsieur le ministre, combien nous apprécions votre présence parmi nous. Cet esprit d'ouverture est un bon gage pour l'avenir. Nos rencontres régulières ne peuvent que rapprocher nos points de vue et nous permettre mutuellement de mieux nous comprendre.
Je souhaite ensuite, Monsieur le ministre, qu'après cette séance, vous repartiez à Paris rassuré sur la réalité de nos intentions, et sur l'état d'esprit constructif qui nous anime.
Je souhaite enfin, Monsieur le ministre, que vous nous entendiez et que, lors de la discussion parlementaire, vous acceptiez de modifier votre texte dans le sens des amendements qui vous sont proposés par la représentation de la Polynésie française.
Je vous remercie de votre attention.
Edouard FRITCH